Le Covid est tombé sur notre terre humaine. Il est tombé comme un révélateur de ce que nous savions déjà, mais que nous n’aimons pas toujours voir : la fragilité humaine, notre vulnérabilité, notre non-maîtrise de toutes choses. Advient alors le temps de l’inquiétude et de l’incertitude, celle-ci nourrissant celle-là. Faisons quelques pas.
Premier pas : fragilité révélée dans le quotidien de la vie, en cette double expérience humaine occasionnée par le Covid. Celle du temps : vies changées, projets en suspens, avenir incertain. Et celle, qui lui est liée, de l’événement : ce qui advient inopinément et bouscule ce que nous avons à faire.
Invitation, non à renoncer au « faire », mais à consentir à « se laisser faire » par ce qui advient, même s’il convient d’y résister si cela est possible et souhaitable. Apprendre, au cœur même du « faire », et plus profondément, à « se laisser faire ».
Et, sans nier l’importance essentielle pour l’homme de la mémoire du passé et de l’horizon de l’avenir, accueillir le plus infime du temps, fragile et précieux : le JOUR PRESENT, le moment présent, le seul moment qui nous est donné pour vivre, respirer, rencontrer, aimer…Un moment à recevoir comme un don.
Parce que nous ne sommes pas les maîtres absolus du temps et de l’événement, nous pouvons les vivre de manière simplement humaine, accueillant l’imprévisible, l’inconnu. Ce qui, il est vrai, n’est pas toujours facile, et parfois à la limite du possible, mais peut être un chemin de plus profonde humanité.
« Notre vrai bonheur est caché dans ce que Dieu nous donne à faire ou à souffrir au moment présent : le chercher ailleurs, c’est se condamner à ne jamais le trouver » (Robert de Langeac).
Deuxième pas : fragilité expérimentée au lieu le plus précieux et le plus fragile de notre humanité : la relation, l’être ensemble, le vivre ensemble.
Un petit signe emblématique : le Covid arrive, donc ne pas se toucher ! En soi, un déni d’humanité, même si nécessaire : le toucher est le sens essentiel de l’humain, «la nourriture de notre humanité » (Timothy Radcliffe).
Une fragilité que nous connaissons tous, celle de nos liens humains, parfois difficiles…Et qui, le Covid l’a manifesté, ébranle d’abord les plus fragiles de notre société. Ils le sentaient bien, ces jeunes professionnels d’une paroisse de Paris qui, le 17 mars, au lieu de se confiner chez eux, ont choisi de se confiner dans des locaux paroissiaux avec des gens de la rue qu’ils connaissaient, pour ne pas les laisser tomber : au lieu de la séparation, la fraternité concrète.
Un choix modeste, mais qui fait surgir une grande question : allons-nous dans nos sociétés vers une plus grande séparation entre les humains ou vers une plus réelle fraternité ? « Cette crise peut nous rapprocher ou achever de nous séparer » (un homme politique).
L’essentiel est la FRATERNITE. Une fraternité à vivre, à inventer au-delà de toute frontière, et déjà dans notre cœur. Car tout commence par le cœur.
« Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25, 40).
Troisième pas : fragilité éprouvée dans la conscience vive que nous sommes UNE SEULE HUMANITE : la pandémie est mondiale.
Le Pape François : «Nous sommes tous égaux, tous fragiles, tous précieux » et « personne ne se sauve seul ». Le Covid rend encore plus manifeste et aggrave l’immensité des inégalités et des injustices qui déchirent l’humanité et la mettent en péril. Aussi François appelle à « discerner la vie nouvelle que le Seigneur veut générer en ce moment concret de l’histoire » et à faire des choix décisifs qui donnent la première place à la personne humaine, sans oublier les pauvres et les fragiles de toutes les manières, et permettent un monde autre.
Fragilité de l’humanité qu’on ne peut séparer de celle de notre terre humaine : « TOUT EST LIE » affirme avec force François (encyclique Laudato Si). Notre planète souffre, gémit, demande à être sauvée avant qu’il ne soit trop tard.
Au fond, ce que nous révèle tout ce qui se vit autour du Covid est le combat le plus profond qui se joue au cœur de l’humanité, un combat intérieur à chacun de nous : celui entre le « virus mortel » qu’est « l’égoïsme indifférent » (François) et le souffle de l’Esprit qui traverse toute frontière. De ce souffle témoigne, en tous les pays du monde, la vague immense de gestes de fraternité, de solidarité, même s’ils ne peuvent remplacer les nécessaires décisions politiques. Là où le mal abonde, le bien surabonde !
Autant dire que le temps du désarroi, de la douleur, de l’épreuve, est le temps de l’ESPERANCE. Peut-être « contre toute espérance » (Romains 4, 18).
Un dernier pas : LA FRAGILITE, TERRAIN DE L’ESPERANCE
« Gloire » de la fragilité : un mot un peu fort, mais qui veut suggérer que la fragilité est ce que nous sommes : une humanité fragile de tant de manières (physique, psychologique, sociale, morale, spirituelle…). La fragilité n’est pas une finitude coupable ; elle est pour nous « le mode propre de l’accès à l’être et au sens » (Jean-Luc Nancy, la Croix 23. 04. 2020).
Ce qui est fragile est précieux. L’homme est la réalité la plus précieuse de la terre. L’humain a un prix incomparable. Certes, fragilité éprouvante, et nul n’est à l’abri de la peur, du découragement, voire de la désespérance ; et pourtant, si l’on ose dire, « heureuse » fragilité : elle peut être le terrain de l’espérance, de la « petite espérance » (Charles Péguy).
« Humilité » de l’espérance : une espérance jaillissant au lieu même de nos fragilités, de nos épreuves. Une grâce à recevoir. L’espérance ne possède rien pour tout recevoir.
Espérance qui est comme la tonalité de fond accompagnant tout moment de notre vie : heureux ou difficile, obscur ou lumineux, faible ou plus assuré…
Espérance toujours éprouvée et traversant toute épreuve.
Espérance fragile et insubmersible. Espérance insaisissable et qui n’en finit pas de nous saisir.
Espérance pour soi-même, pour les autres, pour l’humanité entière. C’est indissociable.
Allons plus profond. La fragilité est le terrain de l’espérance à cause de JESUS. En lui, qui est monté dans la barque de la fragilité humaine, de toutes nos fragilités, jusqu’à la mort.
Comme l’exprime un grand spirituel du 20ème siècle, Maurice Zundel, Dieu est « la fragilité suprême ». Il suffit de regarder Jésus : il est le « pauvre de cœur », l’humble jusqu’à prendre la dernière place, l’amour extrême jusqu’à la Croix. « Celui qui m’a vu, a vu le Père » (Jean 14, 9). Regarder Jésus, c’est « voir » le Père.
Insondable et bouleversante « fragilité » de Dieu, mais où se devine dans la foi la puissance infinie d’un amour sans mesure. Un amour « touché » au cœur, à l’intime de lui-même, par le mal – toutes les formes du mal – qui atteint l’homme.
Encore Maurice Zundel, qui certes n’est pas un docteur de l’Eglise : « Dans le Mal, c’est Dieu qui a mal, et c’est pour cela que le Mal est si terrible ! Mais, si c’est Dieu qui a mal dans le Mal, il y a donc au cœur du Mal cet Amour qui ne cessera jamais de nous accompagner et de partager notre sort… ».
Un Amour qui fait surgir la Vie au lieu même de la mort.
Le dernier mot est à la Vie. Dès maintenant dans la foi…en attendant « le jour qui n’a pas de nuit « (St Maxime de Turin, office du 5ème dimanche de Pâques).
Bien au-delà du Covid sont remis entre nos mains fragiles ces dons précieux : le jour présent, la fraternité, l’espérance, et, à travers ces dons, le Seigneur lui-même ! En achevant ces lignes, je tombe un peu par hasard ( ?) sur le début de la prière fameuse de Thérèse d’Avila, la grande réformatrice du Carmel, authentique docteur de l’Eglise , prière qui peut nous relancer dans l’espérance, dans la confiance :
« QUE RIEN NE TE TROUBLE, QUE RIEN NE T’EFFRAIE.
TOUT PASSE, DIEU NE CHANGE PAS.
LA PATIENCE OBTIENT TOUT.
CELUI QUI A DIEU NE MANQUE DE RIEN.
DIEU SEUL SUFFIT. »
En ce temps du Covid et en ce 5ème anniversaire de la trop actuelle encyclique du Pape François « sur la sauvegarde de la maison commune » Laudato Si (mai 2015).
Père Charles-Henri de Blavette, cjm.