Au cœur de l’Eglise, Jean Eudes fondateur

Grande effervescence spirituelle et missionnaire (fondations de communautés religieuses, Bernières et l’Ermitage, liens avec la Nouvelle France, Renty et la Compagnie du Saint Sacrement …

Sr Marie-Françoise le Brizaut
Caen, 13 mai 2015

1 - Le contexte normand et caennais :

Grande effervescence spirituelle et missionnaire (fondations de communautés religieuses, Bernières et l’Ermitage, liens avec la Nouvelle France, Renty et la Compagnie du Saint Sacrement …

Au niveau de l’Eglise, le 17ème siècle en France est une époque de nouveautés et de ruptures :

  • période post-conciliaire où une réforme pastorale se met peu à peu en place ; renouveau des ordres monastiques anciens ; création de nouvelles congrégations …
  • aspects de ruptures autour des guerres de religion consécutives à la Réforme protestante. A Caen, environ un tiers de la population se rattachait à cette Réforme.
  • Quête mystique : tout le courant qu’on appellera Ecole Française, où beaucoup sont impliqués, prêtres, religieux et laïcs … mais aussi Pascal, Port Royal … et le jansénisme…
  • Dans le peuple, place de la dévotion populaire … mais aussi existence de déviations vers la sorcellerie, cas de possession … D’où la place des exorcismes.

Sur le plan de la société : des guerres nombreuses, beaucoup de révoltes populaires (dont celle des nu-pieds en Normandie en 1639), des calamités naturelles (mauvaises récoltes…),  des épidémies de peste … Mise en place progressive d’un pouvoir royal absolu… Recherche intellectuelle (cf Descartes…)

La Normandie est une région riche, une région ouverte sur le monde grâce à son ouverture maritime … Elle participe largement aux départs vers la « Nouvelle France » (Canada) : Catherine de St Augustin … Bernières impliqué de plusieurs façons … François de Montmorency-Laval à l’Ermitage de Caen pendant 4 ans… le neveu de Bernières, premier curé de Québec … Renty impliqué fortement dans la vie de l’Eglise (Compagnie du saint-Sacrement)…

A Caen, un foisonnement de fondations : Jésuites (1604), Oratoriens (1622), Carmélites et Ursulines vers 1620, Visitation (1631), Notre Dame de Charité, Congrégation de Jésus et Marie ; un peu plus tard : Bénédictines du Saint-Sacrement, Nouvelles Catholiques, Servantes de Jésus (vers 1680) … Tous ces groupes viennent s’ajouter aux Ordres anciens : Bénédictins, hommes et femmes ; Franciscains et Capucins, Dominicains, Croisiers, Augustines hospitalières…

La Compagnie du Saint-Sacrement démarre à Caen en 1642, sous l’action de Gaston de Renty, avec la collaboration de Bernières et Jean Eudes.

Rayonnement de l’Ermitage. Liens avec Marie des Vallées à Coutances.

2 - Jean Eudes Fondateur 

Jean Eudes n’a sans doute pas cherché à être fondateur ! Il a répondu aux besoins, au fur et à mesure qu’il les découvrait au cours de ses missions. Il est d’abord un prêtre « missionnaire », ces missions qui voulaient, à travers la France « renouveler l’esprit du christianisme dans les chrétiens, et y faire vivre et régner Jésus Christ notre Seigneur. »[1].

Parcourir les campagnes et les villes lui faisait rencontrer beaucoup de gens, lui permettait de mesurer la misère spirituelle… misère des fidèles, mais aussi bien souvent misère du clergé.  C’est de cette prise de conscience que vont naître ses trois fondations. D’une certaine façon, elles sont nées ensemble dans son cœur, en même temps qu’il se plongeait dans l’abîme de la miséricorde divine et dans le Cœur de Dieu manifesté en son Fils Jésus.

NOTRE DAME DE CHARITE

La première fondation en date n’aurait sans doute pas été la première si le choix lui en avait été laissé !  Dès ses premières missions, Jean Eudes avait eu l’occasion de rencontrer des femmes en situation marginale, pour diverses raisons : relations hors mariage, prostitution …  Comme d’autres dans ces régions où tout le monde était baptisé, ces femmes entendaient l’appel à la mission, se rendaient sans doute aux prédications … Elles écoutaient les missionnaires appeler tous les chrétiens à vivre en cohérence avec leur baptême, et donc à changer de vie, à se convertir … Avec beaucoup d’autres, elles se joignaient aux files d’attente près des confessionnaux. Et là, près du Père Eudes, elles trouvaient une oreille attentive, une écoute pleine de miséricorde. Elles entendaient l’appel à changer de vie … Mais comment y répondre ? La société n’était pas tendre pour elles. Elles étaient le plus souvent condamnées et rejetées, rarement accueillies et soutenues. Comme il le faisait pour d’autres pénitents qui peinaient à faire les démarches nécessaires pour concrétiser leur désir de conversion (réconciliation par exemple), il s’était engagé à les aider…

Comment ?

Il connaissait bien Jean de Bernières, son condisciple au collège des Jésuites 20 ans plus tôt, et maintenant Trésorier de France à Caen depuis 1631. Lui aussi, comme les membres de la Compagnie du Saint-Sacrement qui commençait à s’implanter en France, avait le souci d’aider ces femmes dites « de mauvaise vie » à se réinsérer. Ensemble, vers 1634, ils commencent à chercher des familles pour accueillir une ou deux de ces femmes et les aider à reprendre pied dans la vie, en retrouvant des habitudes de travail … mais aussi un certain climat de sécurité.  Combien de familles des environs de Caen ont- elles ainsi reçu des femmes chez elles pendant un temps ? Ce n’était pas forcément chose facile. Quand on entre dans une vie marginale, les repères habituels s’estompent, il devient aussi plus difficile de faire confiance …

Sans doute, au fil du temps, et malgré leur générosité, certaines familles commençaient à se lasser…  Peut-être certaines en parlaient-elles au Père Eudes ? Mais celui-ci avait beaucoup à faire, il circulait beaucoup … il pensait aussi à la nécessité de mieux former les prêtres …

La situation se prolonge donc pendant environ 7 ans … jusqu’à ce jour de 1641, dans le faubourg St Julien, derrière le château de Caen ! Quatre promeneurs avancent dans ce quartier, autour des remparts : le Père Eudes, Jean de Bernières, Anne et Jacques Blouet de Camilly. De quoi parlent les 4 amis ? L’histoire ne le dit pas ! Mais soudain, une femme apparaît sur le pas de sa porte, et voici qu’elle apostrophe les promeneurs : « Où allez-vous ? Sans doute dans les églises pour y manger les images des saints … et vous croirez alors être bien dévots ! Ce n’est pas là où gît le lièvre … Travaillez donc plutôt à fonder une maison pour ces pauvres filles qui se perdent faute de ressources et de direction… »

Elle n’y va pas par quatre chemins, Madeleine ! Car c’est elle, Madeleine Lamy, qui vient de parler … Jean Eudes la connaît. Elle a accueilli des femmes chez elle. Elle sait ce que cela veut dire, la patience et la constance que cela demande … Dans la durée, c’est trop pour une famille … Il faut faire quelque chose de plus stable, de plus institué …

Comment répondent nos quatre amis ? L’histoire ne le dit pas non plus … mais les Annales soulignent que Madeleine dut revenir à la charge quelques semaines plus tard !

Ce n’est sans doute pas que Jean Eudes et ses amis étaient contre la suggestion de Madeleine … mais ils espéraient peut-être malgré tout que la solution mise en route en 1634 pouvait encore continuer au moins un temps.

Lorsque Madeleine intervient pour la seconde fois, le sentiment d’urgence apparaît : cette fois, il est clair qu’il faut faire quelque chose ! Peut-être d’ailleurs l’idée avait-elle eu le temps de mûrir un peu …

Chacun des amis s’engage alors concrètement : Jean de Bernières se met à la recherche d’une maison et il en paiera le loyer ; le couple de Camilly s’occupera de l’intendance ; d’autres amis sont aussi sollicités pour meubler la maison ; il reste au Père Eudes le plus difficile : obtenir les permissions nécessaires et trouver des personnes pour encadrer les femmes qui seront accueillies. Il va faire appel à une protestante convertie : Marguerite Morin.

C’est le 25 novembre 1641 que la première maison de Refuge pour les femmes est ouverte à Caen, dans le centre-ville, près de l’église Saint Jean, tout près également de l’Ermitage de Bernières. La 1ère messe est célébrée le 8 décembre, et les sœurs Carmélites donnent pour la chapelle une belle statue de Notre Dame portant l’Enfant Jésus.

La directrice a d’abord une première adjointe, qui la quitte bientôt. Le Père Eudes en amène une autre, connue lors d’une mission, puis quelques autres, dont sa jeune nièce de 11 ans !

Ce n’est pas encore une communauté religieuse, mais le Père Eudes y pense assez vite, car il se rend bien compte que c’est ainsi qu’il sera possible d’assurer la stabilité de l’œuvre naissante. Il pense d’abord lui donner le nom de Notre Dame du Refuge (Lettres Patentes de novembre 1642).

Malheureusement, les relations entre Marguerite Morin et le Père Eudes se détériorent et la directrice, qui aurait voulu établir la congrégation dans l’esprit des Ursulines, quitte la maison avec toutes ses compagnes fin mars 1644. Ne restent que la nièce du Père Eudes et une autre jeune femme, Renée de Taillefer. L’œuvre semble bien compromise après seulement quelques mois de fonctionnement.

Après s’être concerté avec ses amis fidèles, le Père Eudes fait alors appel à la Visitation, avec l’accord de l’évêque. Trois sœurs, qui ont pour supérieure la Mère Françoise-Marguerite Patin, arrivent le 16 août 1644, dans une maison où tout manque.  Il semble que c’est à cette période que le nom de Notre Dame de Charité remplace celui de Notre Dame du Refuge.

Malheureusement, après 3 ans de présence à Notre Dame de Charité et un déménagement dans une maison censée être plus adaptée, la Mère Patin est élue supérieure à la Visitation. Elle quitte donc la maison, en y laissant les 2 autres sœurs, ainsi que quelques postulantes et novices (celles qui ne l’avaient pas suivie à la Visitation !)… La même année, meurt l’évêque qui avait soutenu les débuts du Refuge, Mgr d’Angennes. Le nouvel évêque, Mgr Molé, se déclare contre toutes les œuvres du Père Eudes !

Fin 1649, les 2 sœurs de la Visitation s’en vont aussi, après un 2ème déménagement. Restent de nouveau quelques postulantes, dont Marie Herson et une novice, Renée de Taillefer. Marie des Vallées persiste à dire, de la part de Notre Dame, que la maison va subsister …

La Mère Patin accepte finalement de revenir en juin 1651, après une « intervention » de saint François de Sales ! Désormais, elle restera supérieure de Notre Dame de Charité jusqu’à sa mort en 1668.

En février 1651, grâce au soutien financier de Mr de Langrie, Président du Parlement de Normandie, l’évêque accepte enfin de donner son autorisation à la petite communauté, qui ne compte encore qu’une novice. Il y en aura une 2ème avant la fin de cette année, et une première profession en 1652… Longue persévérance des deux courageuses jeunes filles qui ont traversé toutes les tempêtes !

Quatorze ans plus tard, en 1666, lorsque Rome approuve l’Ordre de Notre Dame de Charité, il y a 16 professes !

Mais avant d’en arriver là, que de difficultés encore ! Les relations entre le Père Eudes et la Mère Patin sont souvent houleuses, surtout pour les questions d’argent, et encore plus quand il faut envoyer de l’argent à Rome pour faire avancer les démarches auprès du Saint-Siège en vue de l’approbation…

En 1655, lorsque le successeur de Mgr Molé décide de nommer un supérieur ecclésiastique pour la communauté à la place du Père Eudes, la communauté cherche à le faire revenir sur sa décision, la Mère Patin est moins ferme : c’est le curé de Saint-Julien qui est nommé. Nouvelle épreuve pour le fondateur !

Cependant, jusqu’à la fin de sa vie (avec l’aide de sa nièce les dernières années), Jean Eudes porte le souci de sa fondation et travaille à la rédaction des Constitutions, dont la base est le texte de la Visitation, auquel le fondateur ajoute tout ce qui va caractériser la nouvelle communauté : le 4ème vœu, de zèle pour le salut des âmes, la charité, l’humilité et la gratitude. Il travaille aussi sur le coutumier, qui ne sera pas approuvé avant sa mort.

Dans sa démarche de fondateur, on voit qu’il est surtout un homme pratique, il ne cherche pas à faire œuvre d’originalité : les Constitutions de la Visitation existent, et comme Jean Eudes est en accord avec l’esprit de François de Sales, il ne cherche pas plus loin, mais va seulement adapter la façon de vivre pour qu’elle ne gêne pas la mission des Sœurs de Notre Dame de Charité : par exemple, elles ne diront pas le grand Office, qui leur prendrait trop de temps ; elles ne seront pas toujours assujetties au silence, dans la mesure où elles ont besoin de parler pour la mission à réaliser auprès des femmes.

Un autre trait caractéristique de la fondation de Notre Dame de Charité, c’est que les femmes accueillies sont premières : c’est pour elles que la congrégation va être fondée, pour leur assurer le Refuge dont elles ont besoin, pour les aider à « commencer une vie toute nouvelle » (directoire des pénitentes).  Et de fait, elles sont là bien avant que la Congrégation ne prenne corps !

Il a aussi le souci du développement de la communauté : c’est lui qui insiste auprès de la supérieure pour qu’elle envoie des sœurs à Rennes pour une nouvelle fondation. Il y faudra plus de trois ans de persévérance, jusqu’à la fondation officielle en 1673. Deux autres fondations verront encore le jour avant sa mort : à Guingamp et à Hennebont, en Bretagne.

Il soutient et stimule la communauté par ses lettres, dont la plus importante est sans doute celle qu’il écrit vers 1656, pour la fête de l’Assomption : face aux craintes sans doute exprimées par certaines sœurs, il y affirme de façon très forte la spécificité de Notre Dame de Charité. Voir lectionnaire N°26

CONGREGATION DE JESUS ET MARIE

La maison du Refuge a précédé de plusieurs mois le démarrage du premier séminaire de Normandie et de la Congrégation de Jésus et Marie : ce sont sans doute les circonstances qui ont permis cela … Mais on peut aussi penser que c’est heureux, car la fondation a dû affronter tellement de difficultés qu’elle n’aurait peut-être jamais vu le jour si Jean Eudes avait commencé par le séminaire !

On sait qu’il n’a pas été facile non plus pour l’Oratorien Jean Eudes, supérieur de sa communauté à Caen, de prendre la décision de quitter une congrégation dans laquelle il avait passé 20 ans, dont il avait beaucoup reçu et qu’il aimait … pour aller commencer une nouvelle entreprise, dans la même ville, à 500 mètres à peine de la maison de l’Oratoire !

Il fallait qu’il soit bien convaincu de la nécessité de mettre en route les séminaires que le Concile de Trente avait demandés, et de l’impossibilité de le faire dans le cadre de l’Oratoire à ce moment-là.

Ici, on voit que Jean Eudes est à la fois un fondateur de séminaires et un fondateur de Congrégation, les deux réalités étant très liées l’une à l’autre mais cependant distinctes… Il a fondé six séminaires, et avec ses frères il a prêché une centaine de missions paroissiales…

La maison de la Mission est ouverte le 25 mars 1643 : date combien significative du 25 mars dans la vie de Jean Eudes ! Quelques années plus tôt, à Caen aussi, le 25 mars 1637, il avait signé de son sang le vœu du martyre … La veille, avec 5 compagnons décidés à tenter l’aventure avec lui, ils ont marché jusqu’au sanctuaire de la Délivrande, pour confier à Marie tous leurs projets. La statue de Jean Eudes face à Marie dans la Basilique dit bien qu’elle était à ce moment la disposition profonde de son cœur : ouverture et disponibilité … Ce n’est pas son affaire, mais celle du Seigneur, celle de Marie !

A peine la maison établie, voilà les missionnaires de nouveau en route : vers St Sauveur le Vicomte, Valognes … et les fruits de ces missions semblent dire que ce qui a commencé à Caen est bien l’œuvre de Dieu … même si très vite là aussi des oppositions vont surgir. On peut le comprendre du côté de l’Oratoire ! C’est moins compréhensible du côté de l’évêque, un peu plus tard … Voilà un groupe de prêtres qui s’engagent pour mieux former le clergé, et pourtant Mgr Molé décide de fermer la chapelle du séminaire … pas pour quelques jours ! Cela va durer de fin novembre 1650 au début du mois de mai 1653 … Pourtant, pendant ce temps, un 2ème séminaire va naître à Coutances, et une 3ème fondation voir le jour à Lisieux… Dieu sait écrire droit avec des lignes tordues !!

SOCIETE DU CŒUR DE LA MERE ADMIRABLE

Pour prolonger les missions, à partir de 1648, le Père Eudes se met à ériger des « confréries », soit en l’honneur du Cœur de Marie, soit sous le vocable du Sacré Cœur de Jésus et de Marie : il y enrôle un grand nombre de personnes de tout rang et de toute condition. Il veut aussi que chacun de ses séminaires devienne le centre de l’une de ces confréries. Il en sera de même pour les monastères de Notre Dame de Charité au fur et à mesure des nouvelles fondations.

Il discerne aussi, parmi les membres de ces confréries, des personnes avec un désir de vie davantage donnée, au Seigneur et aux autres, sans pour autant entrer dans la vie religieuse. Il a alors l’idée d’établir pour ces personnes une nouvelle Société, où elles trouveraient des moyens de sanctification appropriés à leur situation. Ce n’est pas à proprement parler un Tiers-Ordre, même si ce nom s’est généralisé par la suite, et même si ses liens avec les deux autres fondations de Jean Eudes sont évidents. Il a voulu que cette Société soit dédiée au Cœur de Jésus et Marie, tout en la nommant « Société des enfants de la Mère Admirable », ou « Société du Coeur admirable », ou « Société du saint Cœur de la Mère admirable ».

Comme les 2 Congrégations fondées par le Père Eudes, cette Société a aussi pour but de travailler au salut des âmes en propageant l’amour des Cœurs de Jésus et Marie, en pratiquant les œuvres de charité et de miséricorde, et en attirant par la prière de nombreuses grâces sur tous les ouvriers apostoliques.

Les membres prennent l’engagement du célibat perpétuel. Il n’y a pas d’habit particulier, mais les membres portent sous leurs vêtements 3 signes symboliques de leur appartenance à Marie : une tunique et une ceinture blanche, un cœur et une croix rouges. Ils portent également un petit cœur d’argent, analogue à celui des sœurs de Notre Dame de Charité.

La Société comprend 2 groupes, l’un d’hommes, l’autre de femmes, ces dernières étant toujours beaucoup plus nombreuses. Dans les paroisses où existe un groupe, ses membres ont des réunions régulières pour un encouragement mutuel. Ces groupes sont autorisés par l’évêque du lieu, et le supérieur général des Eudistes a une responsabilité globale. C’est lui qui nomme les supérieurs diocésains, en accord avec l’évêque du lieu. Chaque groupe a aussi un€ supérieur(e) local(e).

À cette Société, le fondateur donne un Règlement simple mais exigeant, invitant à une vie chrétienne profonde, avec un engagement apostolique dans le milieu même où l'on se trouve, et qui prévoit, entre autres choses, la récitation quotidienne de quelques prières, une réunion mensuelle des membres de la société vivant dans la paroisse, et, autant que possible, une retraite annuelle.  Mais surtout le Père Eudes lègue à cette Société le trésor de sa doctrine spirituelle centrée sur le Corps Mystique et spécialement attentive à l'amour des Coeurs de Jésus et de Marie.

Il en fut des règlements de la Société du Coeur admirable comme de l'Évangile:  ils furent pratiqués avant d'être écrits.  On ne voit même pas que le Père Eudes en ait fait imprimer lui-même les règles, non plus que celles de la Confrérie du Sacré-Coeur de Jésus et de Marie.  Il se bornait à les enseigner de vive voix, et ces diverses associations n'eurent d'abord d'autres Manuels que les livres du Père Eudes, notamment L'Exercice de piété, le Royaume de Jésus et La Dévotion au très saint Coeur de Marie.  Nul doute, cependant, qu'il n'ait laissé par écrit des projets de Règlement  et des formules de réception et de consécration pour ces Sociétés qu'il avait tant à cœur ;  on retrouve en effet de la façon la plus évidente son esprit, son cachet, ses expressions mêmes dans ceux qui parurent après sa mort.

Le premier Manuel spécial fut publié par le successeur du Père Eudes, à Coutances, en 1688;  il était commun à la Confrérie et à la Société. Aussi n'y est-il pas question des règles proprement dites de cette dernière. On y trouve seulement à l'usage des membres une seconde partie intitulée «Exercices de piété pour les Enfants de la Société du très saint Coeur de Jésus et de Marie.»

Ce fut seulement vers le milieu du XVIIIe siècle que, pour répondre aux demandes de membres de la Société, des fils du Père Eudes rédigèrent et firent imprimer les règlements que la Tradition avait conservés jusqu'alors dans leur intégrité première.

Il y eut d'abord une parution à Avranches (1738), puis à Caen (1757), puis encore à Rennes (vers 1760), à Dol (à 1787), à Saint-Brieuc (en 1859).  Les deux premiers titres parlent de Règlement;  les trois derniers, de Manuels.

3 - Développement d’un réseau à partir de la Société du Cœur Admirable

Dès ses débuts, la Société est en butte à la malveillance des jansénistes. Tout en restant discrète, elle prend une certaine extension du vivant de Jean Eudes, surtout en Normandie et en Bretagne, où elle rencontre le soutien des évêques.  Par exemple, développement à Rennes, Guingamp, Vannes, autour des maisons de Notre Dame de Charité.

Puis la Société connaît une grande diffusion au cours du 18èmesiècle, particulièrement encore dans les diocèses bretons (Rennes, Saint-Brieuc, Vannes, Quimper) et normands (Bayeux, Coutances), mais aussi dans quelques autres diocèses français.   

Au moment de la révolution, à la fin du 18ème siècle, la Société du Cœur admirable est nombreuse, et elle rend de grands services à l’Eglise durant cette période de persécution religieuse. Comme les Tertiaires passent inaperçues du fait même de leur simplicité, elles en profitent pour cacher des prêtres, pour assurer la prière quand il n’y a plus de prêtre, pour faire le catéchisme aux enfants, parfois aussi leur apprendre à lire et à écrire, s’occuper des malades et des mourants … On les connaît parfois sous le nom de «  Bonnes Sœurs trottines », ou encore «religieuses de la maison». Ses membres, solidement formés à la vie spirituelle mais vivant dans le monde, jouent ainsi un rôle important et parfois héroïque au service de la foi.

Vers 1826, le Père Louïs de la Morinière et le Père Blanchard, deux Eudistes de Rennes qui avaient échappé à la Révolution et à l'exode forcé de beaucoup de prêtres et religieux, vont peu à peu redémarrer la Congrégation de Jésus et Marie, qui était réduite à sa plus simple expression. Ils sont rejoints bientôt par 6 autres confrères...  Le Père de la Morinière prend la responsabilité du Tiers-Ordre au niveau du diocèse de Rennes. On peut dire que c'est par le biais du Tiers-Ordre que la famille de Jean Eudes est, d'une certaine façon, «re-née ».

La Société connaît au 19ème siècle un développement remarquable. A Caen, à partir de 1802 et jusqu’en 1859, son siège est en l’église Notre Dame = la Gloriette. Il y a eu jusqu’à une centaine d’associées.

Dans le diocèse de Rennes, il y a déjà plus de 2000 membres lorsque le Père Louïs de la Morinière en prend la direction. Pendant qu’il dirigea la Société, il y eut, paraît-il, plus de 15 000 tertiaires en Bretagne et en Normandie (d'après le P. Dauphin, c.j.m., dans son livre intitulé Les Coeurs sacrés de Jésus et de Marie). Par exemple, dans le Diocèse de Saint-Brieuc : plus de 6000 membres en 1859 !

Autres diocèses où sa présence est mentionnée : Vannes, Quimper, Nantes, Coutances, Laval, Paris, Abbeville, Versailles, Lyon et Saint-Etienne, Le Mans, mais aussi Rome, les Antilles anglaises, et la Colombie, où encore aujourd’hui les Fieles Siervas s’inscrivent dans la tradition de la Société du Cœur Admirable…

4 - Quelques «tertiaires» ont donné naissance à des instituts religieux :

  • La congrégation des Filles des Saints Coeurs de Jésus et Marie (1821). Marie-Thérèse Auffray (1783-1864), la fondatrice, était membre du Tiers-Ordre eudiste.  Elle se forma à la vie religieuse à la communauté de Notre-Dame de Charité de Saint-Brieuc.  Elle adopta le costume même de cette société (mais en noir) et une partie de ses usages.
  • La congrégation des Petites Soeurs des Pauvres (1852). Jeanne Jugan (1792-1879) canonisée le 11 octobre 2009, fut aussi membre du Tiers-Ordre eudiste.  Lorsqu'elle eut commencé à accueillir des femmes âgées, elle regroupa quelques compagnes, et leur proposa de suivre avec elle une règle inspirée d'abord de celle du Tiers-Ordre.  Ce furent les premiers commencements de la grande congrégation des Petites Soeurs des Pauvres, qui sert aujourd'hui les vieillards pauvres dans de nombreuses parties du monde.
  • La Congrégation des Saints Coeurs de Jésus et de Marie (1853). Comme Jeanne Jugan et M.Thérèse Auffray, Amélie Fristel (1798-1866) fut membre du Tiers-Ordre eudiste.  Elle s'associa avec d'autres tertiaires, et ouvrit à Paramé une maison accueillante à toute détresse. C'est là que la congrégation a pris naissance. L'Église a proclamé l'héroïcité des vertus d'Amélie Fristel en    Sa congrégation  est aujourd'hui présente en France, au Canada et en Afrique (Côte d'Ivoire et Bénin).
  • La Société des Filles de Marie se rattache aussi au Tiers-Ordre eudiste, ne serait-ce que parce que ses premiers membres ont été des tertiaires eudistes... Mais les allégeances ignatiennes du Père de Clorivière ont aussi et surtout marqué le groupe qui, néanmoins, a gardé des «marques» eudistes, par exemple elles célèbrent, en souvenir de leur origine, le Saint Coeur de Marie le 8 février.
  • Les Soeurs du Saint Coeur de Marie, de Sainte-Lucie (Antilles anglaises): Un groupe de la Société du Coeur admirable s’était formé à la Trinidad. Il en sortit une petite communauté dont Mgr Poirier, le fondateur, a raconté lui-même l'établissement: «La Congrégation religieuse que j'ai fondée doit son établissement à la Société du Coeur de Marie, telle qu'elle existe dans le diocèse de Rennes, d'après le règlement établi par le P. Eudes.  Trouvant dès le commencement des âmes qui pouvaient aller plus loin, j'établis immédiatement deux catégories:  l'une de Soeurs qui, ne pouvant quitter le monde, désiraient cependant vivre d'une manière qui les rapprochât de la vie religieuse;  l'autre, de celles qui, se trouvant indépendantes, souhaitaient vivre en communauté et s'adonner à tous les genres de bonnes oeuvres.»

Dans la suite, Mgr Poirier établit, comme il le dit, «une séparation bien tranchée» entre les deux groupes.  Six de celles qui se destinaient à la vie religieuse firent une sorte de noviciat chez les Soeurs de Cluny auxquelles, par la suite, elles se sont  rattachées.

5 - Développement des congrégations fondées par Jean Eudes

  • Notre Dame de Charité du 18ème au 21ème siècle, en dehors de France à partir de 1853, en tout dans 14 pays à différents moments.
  • Les Eudistes à partir de leur rétablissement, en France d’abord, puis au Canada, en Colombie, etc.
  • Notre Dame de Charité du Bon Pasteur à partir de 1835, dans les 5 continents du vivant de SME, et actuellement présente dans 74 pays.

6 - Naissance de Congrégations fondées avec le soutien de Pères Eudistes

Plusieurs Congrégations fondées aux 18ème et 19ème siècles, et dans la fondation desquelles des Eudistes ont été impliqués, ont été teintées de l'esprit de la Société du Cœur Admirable, mais il en reste peu de preuves, à cause de la discrétion qu'avait souhaitée Jean Eudes au sujet de cette Société.

  • Le Bon Sauveur à Caen et à Saint-Lô au début du 18ème siècle (Pères Hérambourg et Creully) : maintenant partie de la nouvelle Congrégation des Missionnaires de l’Evangile (2014). France, Pays de Galles, Irlande, Espagne, Italie, Madagascar, Centrafrique.
  • La Providence d’Evreux au milieu du 18ème siècle (Père Duvivier, frère de la fondatrice).
  • Les Filles du Cœur Miséricordieux, avec Blanche Frichot et le Père Dauphin. Fusionnées avec Notre Dame de Charité en France (1972), mais toujours présentes en Colombie et Porto Rico.

7 - La grande Famille Eudiste

Dans l’histoire, et dès les débuts, tout un réseau de bienfaiteurs et d’amis s’est développé autour de chacune de ces Congrégations et de la Société du Cœur Admirable. Dans l’Eglise universelle, c’est à partir de Vatican II qu’on a peu à peu commencé à parler d’Amis, d’Associés, de Collaborateurs, développant ainsi une vision beaucoup plus large de l’Eglise.

On peut dire que cela fait déjà longtemps qu’on parle de « la grande famille eudiste » ! Quand on pense, par exemple, à tout l’effort de formation mené par les Eudistes de France dans les années 1950, ces sessions et les livrets qui étaient publiés ensuite s’adressaient à tous les membres de la grande famille, alors plus nombreuse que maintenant, car plusieurs petites congrégations ont fusionné avec d’autres plus importantes.

Aujourd’hui, dans toute l’Eglise, on découvre les « familles spirituelles » avec la richesse que cela peut représenter. Et c’est aussi dans cette perspective que la Grande Famille Eudiste doit se repenser, avec sans doute un aspect nouveau, d’abord que les laïcs en font vraiment partie, mais aussi que les différents membres, dans leur variété, ont quelque chose à s’apporter mutuellement. Et je pense que saint Jean Eudes aurait été très ouvert à cela, dans la ligne du baptême et du sacerdoce des baptisés.

Conclusion

Jean Eudes a été un grand réalisateur. Ses fondations, encore bien vivantes aujourd’hui, sont là pour en témoigner, ainsi que la fécondité de ses intuitions spirituelles et apostoliques. On peut en particulier être frappé par le souci qu’il a eu de toutes les vocations, et de la place de chacun dans l’Eglise.  A nous aujourd’hui de poursuivre sur cette lancée !

[1] OC IX, 145.

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