La France à l’époque de Saint Jean Eudes

Il est difficile d’en faire un parcours rapide, mais il est bon de se rappeler quelques éléments pour percevoir là où Jean Eudes a positionné la CJM. Je ne suis pas un historien, aussi je fais appel à ceux-ci, en particulier à Mr Philippe BONNICHON qui est maître de conférences à la Sorbonne.

Un regard très rapide

La France, dont le régime politique est monarchique, sort d’une longue période de guerre, en particulier la guerre avec les protestants qui a pris fin avec la proclamation de l’Edit de Nantes 1598. La période où vit Jean Eudes est donc un temps de paix relative. En effet, le Royaume de France est en train de se constituer et des guerres continueront aux frontières.

Le peuple est toujours marqué par son organisation structurée : la noblesse, le clergé et le Tiers-états. Le Tiers-états représente 97% de la population et les agriculteurs, qui en font partie, sont 85% de la population. Le Tiers-états vit dans une situation de pauvreté réelle : inégalités de toutes sortes, fléaux comme la famine à cause des mauvaises récoltes, la peste et bien d’autres maladies, mais aussi les impôts qui touchent des réalités vitales, exemple l’impôt sur le sel, ou encore la dîme, qui est destinée au clergé et représente le dixième des biens produits.

Perception de l’Eglise en France au 17ème siècle

Au niveau du peuple

Pratiquement tous les Français sont baptisés, et il y a 20 millions de français à cette époque, mais l’ignorance prédomine chez les neuf dixièmes d’entre eux : ignorance de la doctrine, de la foi, ignorance du sens même des gestes tels que le signe de la croix ou la génuflexion qui se font par habitude.

Le clergé

On distingue à l’époque deux clergés, celui que l’on appelle le « haut-clergé »composé des prélats divers et celui que l’on appelle le « bas-clergé » qui vit proche du Tiers-Etats. Dans son ensemble le clergé a été largement dévalorisé, dans sa raison d’être même, par la critique des protestants.

Le « bas-clergé » est un clergé nombreux, qui, pour l’immense majorité, est d'une ignorance très grande car on ne s'est pas soucié de sa formation. En effet, devient membre du clergé le 3ème garçon de la famille, sans qu’il ait une vocation particulière. « Heureux le curé qui sait lire et écrire », dira un contemporain de Jean Eudes, M. Bourdoise. La duchesse de Gondi, lorsqu'elle va se confesser, remet au prêtre un papier contenant la formule de l'absolution car un bon nombre de prêtres l'ignorent ! La vie morale du clergé est souvent peu reluisante : le bas-clergé est souvent très pauvre, il vit à la manière des paysans qui l'entourent et s'il a le mérite de partager leur misère, il n'échappe pas toujours à de graves désordres moraux, tels que le concubinage ou l'ivrognerie, voire la sorcellerie. Le « haut-clergé » connaît aussi bien des faiblesses. D'ailleurs, beaucoup de prélats vivent fastueusement, recueillent les largesses des grands, les bénéfices octroyés par le Roi, y compris les Abbayes, où des moines de moins en moins nombreux donnent rarement l'exemple d'une vie évangélique.

A l’époque, l’ensemble du clergé est immergé dans le système bénéficial, c’est à dire le bénéfice ecclésiastique qui est un revenu de terre ou d’argent dont on profite, en principe, pour remplir un office, c’est-à-dire un ministère. Mais si l’essentiel est que l’office soit rempli, dans la mentalité du temps, le bénéfice prime l’office. Cela veut dire que si celui qui est titulaire du bénéfice ne veut ou ne peut pas remplir le ministère correspondant, il le délègue à un autre prêtre, moyennant finance, un salaire, un petit salaire, ce qu’on appelle « la portion congrue ». C’est la situation du « bas-clergé ». Le résultat c’est que beaucoup de ceux du « haut-clergé » qui touchent le bénéfice ne sont pas ceux qui accomplissent le ministère, et ceux qui le remplissent ne sont pas faits pour cela, très souvent mal payés, mal formés. De toute manière il y a course au bénéfice. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas que l’Église ait de l’argent ou des bénéfices ou des revenus, ce qui est scandaleux ce n’est pas qu’un évêque ait cent mille livres de rente, la question est de savoir ce qu’il fait de ces cent mille livres de rente… Le 17ème siècle ne va pas changer les structures – le système bénéficial restera jusqu’à la Révolution en 1789– mais va changer l’esprit qui les anime. C’est cela qui est l’essentiel, le changement d’esprit. Par exemple, saint Vincent de Paul, qui faisait la chasse aux bénéfices et qui va devenir missionnaire mettra son talent au service d’une charité active et rayonnante. Les structures restent les mêmes, mais l’esprit va être changé. 

Le Concile de Trente suscite un renouveau

Le Concile de Trente s'est clôturé en 1563. Il s'est soucié de formuler la Foi catholique. Il l'a fait souvent d'une manière défensive en face de la Réforme protestante, mais il cherche aussi à restaurer la vie évangélique dans l'Église catholique et indique les moyens qui pourraient y conduire, entre autres la réforme du clergé. Des hommes tels que François de Sales, Pierre de Bérulle. Né en 1575, ce dernier appartient à la haute société parisienne. Très jeune, il fréquente des salons – en particulier celui de Madame Acarie – où se croisent des « Grands » à la vie pour le moins douteuse et d'autres attirés par une véritable vie mystique. Il deviendra le maître spirituel qui, à la fois, suscite et domine cette période de renouveau : Olier, Condren, Jean Eudes, et même Vincent de Paul seront ses disciples. Attentif par ailleurs à la vie religieuse, il aidera Madame Acarie à introduire en France le Carmel de sainte Thérèse d’Avila.

Les laïcs y prennent toute leur place

Des laïcs, aussi, entreront généreusement dans cette voie de réforme évangélique telle celle d'un Bernières ou d'un Renty, le premier, célibataire, le second, marié et père de famille, à la fois précurseurs en matière de justice sociale et animés d'une telle vie intérieure qu'ils seront de véritables guides spirituels pour des moniales elles‑mêmes. En regardant tous ces amis de Jean Eudes, nous voyons que vraiment, les saints ne vont jamais seuls, « ils marchent par constellation ».

Dans ce monde et au cœur de ce clergé, Saint Jean Eudes

Ces périodes de renouveau intense demandent des hommes qui sachent allier la profondeur spirituelle à l'action vigoureuse. C'est sans doute le propre des saints de parvenir à joindre ces deux aspects de l'Amour : Dieu et nos frères. Saint Jean Eudes est un de ceux‑là. Il l’a montré par sa présence auprès des pestiférés. Il le montrera en fondant les Sœurs de Notre Dame de Charité. Il a le souci des pauvres de manière constante. Il invite lors des missions les gens à verser à la quête pour que soient rénovés des hôpitaux, ou que l’on puisse verser ce que doit un prisonnier parce qu’il n’avait pas pu payer la dîme, afin qu’il soit libéré et puisse de nouveau nourrir sa famille qui vivait de la mendicité. Jean Eudes ira lui-même prendre la défense des indéfendus lors de la révolte des nu-pieds. Oui Jean Eudes est ici un homme qui révèle son attention aux petits, aux pauvres, aux indéfendus, et cela va loin car il invite les missionnaires qu’il forme à se lever très tôt pour annoncer dès 5h00 du matin la Bonne nouvelle aux personnes qui s’occupent du ménage, et à y aller aussi jusque tard dans la nuit, cela afin que tous puissent bénéficier de la Bonne Nouvelle. On peut dire que c’est un homme qui lors des missions prêche dans les églises, oui, mais va vers les personnes qui sont aussi en situation de pauvreté. Jean Eudes est un missionnaire qui va vers…

Le charisme qui l’habite

Mais ce que l’on peut constater, c’est le souci qu’il porte continuellement et qu’il appelle « le zèle pour le salut des âmes », et qui est identique au « zèle pour la gloire de Dieu. » C’est là me semble-t-il qu’il faut puiser au charisme de Saint Jean Eudes. Et si ce zèle passe par l’attention aux filles dans leur pauvreté et leur situation de prostitution, il passe aussi par la prédication et la confession. C’est là, me semble-t-il qu’il faut aller chercher pour comprendre le souci qu’il a eu de fonder la CJM. Car il n’en fait pas une fondation pour les hôpitaux, pour les écoles, ou bien d’autres œuvres charitables, ce sera le fait d’autres congrégations. Pour lui, la CJM doit porter sur cette dimension particulière du « zèle du salut des âmes » qui est de former. Je cite Monseigneur Lebourgeois dans « Cahiers Eudistes » n°6 – 1981 – p. 84 et suivantes : « Dans l'ensemble, la population française d'alors, surtout en monde rural, a gardé une foi quasi viscérale, mais précisément très peu éclairée. C'est pourquoi la prédication tiendra une grande place, elle ne cherchera pas à flatter l'oreille, elle n’est pas non plus simplement moralisante et terrifiante, même si l'enfer y tient une place que nous avons oubliée. C'est une catéchèse intensive. Pour en définir l'esprit, le Père Eudes a ce mot admirable: « Souvenez‑vous que prêcher c'est faire parler Dieu »,[1] et ce Dieu aime plus encore qu'il ne juge. On organise aussi des cérémonies – nous dirions aujourd'hui des célébrations – qui traduisent l'essentiel de l'enseignement et acheminent les chrétiens vers les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. »

Je continue de citer Mgr Lebourgeois : « Si convaincu qu'il soit de sa mission, Jean Eudes sait bien qu'elle est en quelque sorte éphémère et incomplète. Il faut à ce bon peuple des pasteurs stables, des prêtres compétents et évangéliques. À la suite d'une mission, il écrit: « Les voilà ces pauvres gens, dans d'excellentes dispositions. Mais que doit‑on attendre sous la conduite de pasteurs tels qu'on les rencontre de tous côtés ? ». On comprend cette angoisse. Que l'on donne donc aux prêtres de bonne volonté (il y en a certes!) et aux jeunes hommes qui pensent au sacerdoce, les moyens de l'indispensable formation réclamée depuis un demi‑siècle par le Concile de Trente. Certains essais avaient été tentés, sans grand succès semble-t‑il, et le besoin demeure si évident que Jean Eudes va fonder, pour y répondre, une société de prêtres en 1643. N'est‑ce pas un signe de Dieu que Jean Eudes, Vincent de Paul, M. Olier, sans s'être concertés, fondent en quelques années ce que l'on peut appeler les premiers séminaires de France ? » Et enfin : « Si le besoin était évident, la réponse fut généreuse comme on peut en juger par la lettre suivante. Le Père Eudes écrit du séminaire de Rouen, le 15 décembre 1659: « Nous voici près de cent personnes en cette maison, entre lesquels il y a beaucoup d'ordinands et plusieurs pensionnaires ou séminaristes dont nous avons grande satisfaction par la grâce de Notre Seigneur... Je les exhorte tous les jours ».[2] On connaît de façon précise comment Jean Eudes envisage à cette époque un séminaire, son fonctionnement et sa situation dans l'Église de France. Il s'en explique en 1645 dans une requête adressée à l'Assemblée du Clergé de France: il s'agit pour ceux qui vivent en ces séminaires « de dépendre en tout et partout de la conduite de l'évêque ; d'aller confesser aux dimanches et aux Fêtes dans les paroisses, de secourir les paroisses par catéchisme, prédication et autres fonctions quand les curés seront en ladite maison pour quelque temps, par exemple pour un mois ou plus, selon le bon plaisir de nos seigneurs les évêques, d'ouvrir la maison à tous les ecclésiastiques pour leur instruction dans les choses qui regardent leurs obligations..., les fonctions ecclésiastiques et les exercices de piété; et même aux laïcs qui voudront se retirer en ladite maison; enfin il s'agit de vaquer aux missions dont il arrive de grands fruits : conversions extraordinaires... et affluence d'ecclésiastiques, curés et autres, jusqu'à deux ou trois cents aux conférences qu'on leur fait en particulier ». Ailleurs, le Père Eudes parle d'« académies de sainteté où l'on s'emploie à former et instruire ceux qui tendent à l'état du sacerdoce ou qui y sont déjà arrivés ». Il ne s'agit donc pas d'un enseignement systématique, qui reste donné dans les universités et les collèges, mais bien plutôt de formation à la vie spirituelle et de l'apprentissage du ministère apostolique. »

Qu’en est-il pour Jean Eudes de la miséricorde ?

Si j’ai pris le temps, un peu long peut-être, c’est parce que je voulais situer la question de la miséricorde au regard de la fondation de la CJM. Si la miséricorde, dans le contexte d’aujourd’hui est l’attention à toute détresse, y compris spirituelle, et le désir de Dieu de libérer de ces misères, Toute action devient œuvre de miséricorde. Or à l’époque de Jean Eudes, les choses n’étaient pas forcément perçues de la même manière.

Selon le catéchisme de Saint Jean Eudes lorsqu’il parle de la miséricorde :

« Q. ‑‑ Combien y a‑t‑il d'œuvres de miséricorde corporelles ?

  1. ‑‑ Sept: 1. Donner à manger à ceux qui ont faim; 2. Donner à boire à ceux qui ont soif; 3. Revêtir les nue; 4. Racheter les prisonniers; 8. Visiter les malades; 6. Loger les pèlerins et étrangers; 7. Ensevelir les morts.
  2. ‑‑ Combien y a‑t‑il d'œuvres de miséricorde spirituelles ?
  3. ‑‑ Sept: 1. Donner bon conseil; 2. Enseigner les ignorants: 3. Corriger les défaillants; 4. Consoler les affligés; 5. Pardonner les offenses; 6. Supporter les défauts d'autrui; 7. Prier pour les vivants et les trépassés.
  4. ‑À qui est‑ce d'exercer toutes ces bonnes œuvres corporelles et spirituelles ?
  5. ‑‑ C'est l'office et le métier principal, et ce doit être l'exercice ordinaire de tous les chrétiens, de quelque condition qu'ils soient.
  6. ‑‑ Est‑ce assez de faire ces bonnes œuvres‑là ?
  7. ‑‑ Non, mais il les faut bien faire, c'est‑à‑dire pour plaire à Dieu, pour son pur amour et pour sa seule gloire. » OC 2 p. 432.

Vivre la miséricorde n’est pas réservé à quelques-uns particulièrement, la miséricorde est l’œuvre de tous les chrétiens, et à ce titre on ne peut pas dire qu’il a fondé la CJM afin qu’elle vive la miséricorde.

Comment Jean Eudes nous parle de la miséricorde

Le lieu où il est plus parlé de la miséricorde divine est en OC 7, dans le livre cinquième du cœur admirable. Nous y retrouvons la marque habituelle de Jean Eudes. Il part de Dieu qui est miséricorde en tout ce qu’il réalise de salut pour l’homme. Autant de la nature, de la grâce que de la gloire, c’est-à-dire que la miséricorde divine a tiré du néant tout ce qui n’était pas créé afin que tout participe de la vie. Le néant étant le lieu de toutes les imperfections imaginables et inimaginables. La miséricorde divine a tiré par sa grâce l’homme du péché, qui est le lieu de son néant, et non seulement il l’a tiré de son péché, mais il l’a rétabli dans un état de grâce divine. La miséricorde divine est telle qu’il a attiré l’homme dans sa gloire par le baptême, jusqu’à le rendre participant de sa nature divine.

Puis Jean Eudes parle des trois chefs d’œuvres de la miséricorde : Jésus-Christ, l’Homme-Dieu, puis l’Eglise et enfin la mère de l’Homme-Dieu.

Ce qui me semble important à relever, là où nous en sommes, c’est que le prêtre par les sacrements, est au service de la miséricorde divine. Car, nous dit Jean Eudes, ce sont les sacrements vécus en Eglise qui portent la miséricorde divine. Or ceux qui mettent en œuvre ces sacrements dans l’Eglise, ce sont les prêtres. Et Jean Eudes était un confesseur, un prédicateur célébrant l’eucharistie ; c’est dans l’exercice de la prédication et de la confession qu’il mettait en œuvre la miséricorde divine. Il n’était pas un prêtre de paroisse, on ne le voit ni baptiser, ni marier, par contre il portait le viatique et manifestait ainsi son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, particulièrement auprès des plus pauvres de l’époque à savoir les pestiférés. Mais bien d’autres ont dû en bénéficier car il gardait toujours avec lui la petite boite en fer blanc dans laquelle il portait le Saint Sacrement. C’est dans cet esprit, me semble-t-il qu’il a fondé sa congrégation.

La CJM, œuvre de la miséricorde de Dieu

Au regard de ces passages, il me semble que l’on ne peut pas regarder la fondation de la Congrégation de Jésus et Marie comme invitant de manière spécifique ses membres à la miséricorde. Ils y sont appelés par le fait que ce sont des baptisés.

Par contre on peut sans doute dire que cette fondation est l’œuvre de la miséricorde de Dieu, ce qui me semble plus fidèle à Saint Jean Eudes. Elle est œuvre de la miséricorde de Dieu car elle a pour mission le service de l’annonce de la Bonne Nouvelle et la formation des prêtres. Elle a pour mission de revivifier la foi des baptisés afin qu’ils ne sombrent pas dans le néant du mal mais qu’ils retrouvent le dynamisme et l’engagement de leur baptême. Qu’ils mettent en œuvre leur sainteté baptismale.

Fondation de la CJM. Importance des Règles du Seigneur Jésus et de la Vierge Marie :

« Le P. Eudes ne pouvait assujettir ses enfants à une Règle religieuse. La nature de sa Congrégation y répugnait. Ce n'était point un Ordre religieux, mais un corps purement ecclésiastique, destiné à conduire ses membres à la perfection de leur état, et à en faire les modèles et les éducateurs du clergé séculier, dans les rangs duquel ils entendaient rester. Dans ces conditions, il est évident qu'aucune Règle religieuse ne pouvait leur convenir. » Dit le Père Lebrun dans sa présentation des œuvres complètes en OC 9 p. 20.

Au regard de la règle du Seigneur Jésus, nous percevons un chemin bien spécifique. Il vient y dire la fin de la congrégation : « ainsi cette congrégation de prêtres et de clerc m’appartient à un titre particulier. Je l’ai instituée afin de procurer par les exercices des séminaires et des missions, le salut des âmes que j’ai achetées de mon sang. J’ai voulu qu’elle repose sur quatre fondements, afin de demeurer toujours ferme et inébranlable. »[3]

Les objectifs de la CJM

Cette congrégation a donc deux objectifs, les exercices des séminaires et des missions. Il est très intéressant de voir comment un des éléments de cet objectif a été déplacé au fur et à mesure du temps et de l’histoire. Nous parlons aujourd’hui dans les constitutions au n°23 : « Les Eudistes travaillent à l’annonce de l’Evangile et au renouvellement de la foi par le témoignage de leur vie, leur prière, leur enseignement et à l’accomplissement des diverses tâches pastorales. » Ce terme de diverses tâches pastorales est bien une nouveauté par rapport au projet premier. Pour Jean Eudes, les missions consistaient à la prédication et à la confession. Et c’est essentiellement par la confession que s’exerçait la miséricorde. Toujours en OC IX p. 28, le Père Lebrun résume ainsi le quatrième chapitre de la règle du Seigneur Jésus : « Le P. Eudes consacre le quatrième chapitre de la Règle de Jésus à en exposer les obligations. Elles se ramènent toutes à la sainteté, qui seule fera du prêtre le digne ministre de Dieu; et cette sainteté implique deux éléments: l'un négatif, qui consiste dans l'exemption de toute souillure; l'autre positif, qui consiste dans la pratique des vertus, spécialement de la piété, de la charité envers les pauvres et les malheureux, et du zèle pour le salut des âmes.

Ces obligations sont communes à tous les prêtres; mais les supérieurs, les missionnaires, les prédicateurs, les confesseurs en ont de spéciales. D'après le P. Eudes, les Supérieurs doivent briller par l'humilité, la charité, le dévouement; les Missionnaires, par la douceur et la générosité à supporter les fatigues et les épreuves d'un laborieux ministère; les Prédicateurs, par l'application au travail, la pureté de la doctrine, la simplicité du langage, et surtout par la pratique fidèle des vérités qu'ils prêchent aux autres; les Confesseurs, par la prudence, le zèle, et une bonté toute pleine de miséricorde pour les pécheurs. »

A noter qu’il faudra attendre le chapitre 4 de la règle du Seigneur Jésus pour entendre parler des prêtres et des clercs. Jusque-là, nous avons les obligations du chrétien. Les membres de la CJM sont d’abord des consacrés par leur baptême et ils sont appelés à mettre en œuvre le chemin de la sainteté de leur baptême dans toutes les situations de leur vie. Le chapitre 2, il s’agissait de renoncer à Satan, et le chapitre 3 : adhérer au Christ ; revêtir le Christ et porter son image ; demeurer dans le Christ et porter en Lui du fruit ; vivre avec, pour et dans le Christ ; vivre de la vie du Christ ressuscité ; se laisser conduire par l’Esprit du Christ, et tout faire en son nom et dans son Esprit ; revêtir les mœurs et les vertus du Christ. Puis le chapitre 4, il y est question du dynamisme missionnaire, puis des supérieurs, des missionnaires, des prédicateurs, et des confesseurs. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y est pas parlé des formateurs. Sans doute parce que le séminaire tel qu’il l’envisageait et tel qu’il a fondé les séminaires, ne consiste pas en la formation telle que l’on en parle aujourd’hui. La formation intellectuelle, qu’elle soit théologique, philosophique, était donné ailleurs. Au séminaire, on formait des missionnaires par l’exercice même des missions, par la prière ensemble, la vie commune. La formation était l’exemplarité du missionnaire qui accueillait et vivait au séminaire. Il me semble que la formation était le témoignage vécu, l’expérience vécue ensemble de la mission. C’est l’histoire qui a donné aux séminaires une forme nouvelle telle qu’on la connait actuellement.

Qu’en est-il d’un cœur miséricordieux ?

Tout ce qui se partage ici ne peut se vivre que sous l’amour donné, manifesté, révélé en Jésus Christ. Et Jean Eudes va préciser au chapitre 4 de la règle du Seigneur Jésus : « Donnez-moi vos cœurs et j’y graverai la loi de la vie et de la connaissance ». Mais ce qui me parait le plus significatif, c’est le lieu où Jean Eudes pose la dynamique du cœur dans sa règle. Il s’agit du 3ème fondement de la congrégation, la volonté divine : « En réalité, une seule chose est vraiment nécessaire et doit, plus que tout autre, être gravée au plus intime de vos cœurs : vous devez partout et en toute choses renoncer à votre propre volonté, et tâcher de connaître et de faire la volonté de Dieu « avec un grand cœur et un grand amour » : ainsi vous marcherez dignes de Dieu, cherchant à Lui plaire en tout.

Gardez bien cette pensée en vos cœurs : Je suis descendu du ciel, non pas pour faire ma volonté, mais la Volonté de Celui qui M’a envoyé. Détournez-vous donc de votre volonté pour faire toutes les Volontés de Dieu et devenir ainsi selon son Cœur. »[4] Ici, comme dans la marche spirituelle à laquelle il nous invite, Jean Eudes articule le plus fort d’une vie spirituelle avec une mise en pratique. Il ne suffit pas de prier pour que la volonté de Dieu s’accomplisse, il s’agit de la mettre en œuvre, de la réaliser. C’est ainsi que l’on sera selon son Cœur. Aussi prier l’Ave Cor prend tout son sens, car le Cœur de Dieu nous dit sa volonté, et le don de notre cœur lui dit notre désir de vivre selon sa volonté.

Le Père Robert de Pas, dans son livre « Marie Icône de Jésus » vient nous rappeler l’importance de l’union du Cœur de Jésus et de Marie en citant Jean Eudes OC 8, p.113 : « Afin qu'étant membres de Jésus et enfants de Marie, nous n'ayons qu'un cœur avec notre adorable Chef et notre divine Mère, et que nous fassions toutes nos actions avec le Cœur de Jésus et de Marie, c'est‑à‑dire en union des saintes intentions et dispositions avec lesquelles Jésus et Marie faisaient toutes leurs actions. Pour cet effet, ayez grand soin, du moins au commencement de vos principales actions, de renoncer entièrement à vous‑même, et de vous donner à Jésus pour vous unir à son divin Cœur, qui n'est qu'un avec celui de sa sainte Mère, et pour entrer dans l'amour, dans la charité, dans l'humilité et dans la sainteté de ce même Cœur, afin de faire toutes choses dans les saintes dispositions dont il a toujours été rempli. » Etre selon le Cœur de Jésus, c’est apprendre la vie d’union du Cœur de Marie et de Jésus. Non pas pour une satisfaction spirituelle, mais bien pour que tout de notre vie soit en communion de Cœur. Vivre nos actions quotidiennes devient le lieu de mise en œuvre de cette union de Cœur. Ce que Marie a pu vivre en se disposant pleinement à la volonté de Dieu pour accueillir le Fils en elle, et qui a ouvert cette dynamique d’union des deux cœurs, peut devenir notre propre chemin. Cela se vivra à la fois par les actions menées personnellement, mais cela demandera aussi une vie commune à l’image de l’union du Cœur de Jésus et de Marie. La communauté vivant de ce même Cœur deviendra le moyen de porter ensemble l’accomplissement de la volonté du Père.

Dans la CJM, une vie vécue en communauté

Enfin Jean Eudes a souhaité fonder la CJM en donnant la vie commune comme norme, voir le Chapitre 3 de la règle de la Vierge Marie : « Ayez à cœur de contempler, d’honorer et d’imiter assidûment la sainte société ou communauté qui nous tenait unis, mon Fils Jésus, Joseph et moi, lorsque nous menions notre vie terrestre : qu’elle soit l’exemplaire, le miroir et la règle de votre vie commune. » Mais rappelons-nous que le bas-clergé vivait solitaire, comme les paysans qui l’entouraient, était bien souvent ignorant, et avait une vie un peu désordonnée… Imaginez alors quel poids cela devait donner à la mission que de voir des jeunes prêtres vivant ainsi en communauté. Non pas hors de la vie des gens, mais au sein même de leur vie puisqu’ils couchaient chez l’habitant lors des missions et se retrouvaient pour la prière et le partage. En fait il me semble que la vie de communauté pour les missionnaires et les confesseurs devenaient, par le modèle de vie qu’elle représentait, comme un moyen pour servir le « zèle pour le salut des âmes. »

Jean Eudes ne parle pas de la communauté comme « communauté apostolique ». Ce sont nos nouvelles constitutions de 1983 qui ont mis en œuvre ce concept dans l’article 2. Mais rien n’est mis de côté de ce que portait Saint Jean Eudes pour sa congrégation : « Dédiée à la Très Sainte Trinité et à la communauté de Jésus, Marie et Joseph, elle s’efforce de suivre le chemin tracé par les Apôtres. » Article 1 des constitutions de 1983. L’insistance sur la vie de communauté dit l’esprit dans lequel nous sommes appelés à vivre cette vie aujourd’hui : « Les Eudistes sont solidairement responsables de la vie et de l’apostolat de la Congrégation. » Constitution n° 16 et la communauté fraternelle de l’article 3 dit au n°35 : « Portant ensemble une même charge apostolique, les Eudistes s’engagent dans la vie communautaire et veulent la mener comme des frères afin que leur communauté soit « une école de sainteté pour tous ceux qui y viendront ». N’est-ce pas le lieu qui vient témoigner d’une Bonne Nouvelle qui en appelle à la fraternité pour porter témoignage de l’amour de Dieu au cœur du monde aujourd’hui ?

Pour la réflexion

En fidélité à cela, il me semble que nous sommes appelés à vivre pleinement la consécration de notre baptême par la vie que nous menons sur le chemin de notre sainteté, et à vivre pleinement notre consécration sacerdotale en continuant de vivre pour le monde d’aujourd’hui le « zèle pour le salut des âmes ». C’est en communauté, portés par la spiritualité qui a guidé Saint Jean Eudes, que se trouvera l’articulation de ces deux consécrations ; c’est là, par le partage en communauté, la réflexion sur le monde d’aujourd’hui, que continueront de s’inventer les moyens de la mission pour « continuer de faire parler Dieu » dans les différents pays où nous sommes et dans nos sociétés en pleine transformation. L’internationalité de notre congrégation peut en être un moyen si nous ne regardons pas seulement notre vie eudiste en fonction de notre pays, en réfléchissant à partir de notre province, mais si nous prenons conscience que l’évangélisation traverse tous les courants de notre humanité dans notre monde en pleine mutation mondiale.

Donné lors du pèlerinage eudiste le 12 mai 2015
Père Michel MENEAU, eudiste.

 

[1]SAINT JEAN EUDES, OEuvres Complètes (O.C.), X, 469.

[2] O.C. X, 435.

[3] Règle du Seigneur Jésus, chapitre 1.

[4] Règle su Seigneur Jésus, Chapitre 1 section 3

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