Le baptême à l’école de Saint Jean Eudes

 

À l’époque de Saint Jean Eudes (sous Louis XIII et Louis XIV), tous les sujets du Royaume de France ont été baptisés bébés mais ils ignorent ce qu’est le baptême, alors notre prêtre missionnaire va le leur expliquer dans 3 ouvrages :

« La vie et le Royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes » (1637), « Le contrat de l’homme avec Dieu par le Saint Baptême » (1654), « Les entretiens intérieurs de l’âme chrétienne avec son Dieu » (1662).

Avec Saint Jean Eudes, nous allons aborder le baptême sous l’aspect du contrat.

Ce thème du contrat est traditionnel ; on le retrouve chez les Pères de l’Eglise du 4è siècle : saint Grégoire de Naziance, saint Cyrille de Jérusalem, saint Jean Chrysostome. Saint Jean Eudes commence par expliquer avec enthousiasme quelle alliance merveilleuse crée ce contrat : « Par un excès inconcevable d’amour, le Fils de Dieu a voulu nous faire entrer dans une société merveilleuse avec lui et avec son Père… Or, c’est par le Contrat que nous avons fait avec Dieu en notre Baptême, que nous sommes entrés dans cette sainte alliance. Alliance la plus noble, la plus étroite et la plus avantageuse qui puisse être. Alliance non pas seulement d’un ami avec son ami, d’un frère avec son frère, d’une épouse avec son époux ; mais d’un membre avec son chef, qui est la plus intime de toutes les alliances. Alliance et union si excellente, que l’union des sarments avec le cep de la vigne, de la greffe avec l’arbre sur lequel elle est entée, et des membres d’un corps humain avec leur tête, n’en est que l’ombre et la figure. Alliance qui est comme la continuation, l’extension, et l’imitation de l’ineffable alliance de l’humanité sacrée du Sauveur avec sa personne adorable. Alliance cimentée par le précieux Sang de Jésus-Christ. Alliance dont le Saint Esprit, qui est l’unité du Père et du Fils, est le lien divin. Alliance si admirable, qu’elle mérité d’être comparée par le Fils de Dieu même avec l’unité qui est entre lui et son Père éternel… De sorte que l’unité du Père et du Fils est l’exemplaire et le modèle de l’union que vous avez avec Dieu par le Baptême ; et cette même union est l’image vive de cette adorable unité. O union incomparable ! O société ineffable ! O alliance admirable ! O grandeur très sublime de la Religion chrétienne ! O sainteté, ô dignité inexplicable du Baptême ! O saint et sacré Contrat de Dieu avec l’homme et de l’homme avec Dieu ! O incompréhensible bonté de Dieu ! O inconcevable bonheur de l’homme ! Oh ! Combien Dieu est-il abaissé et humilié par cette alliance ! Oh ! Combien l’homme y est-il relevé et glorifié1 ! »

Et puis viennent les engagements mutuels de ceux qui ont fait ce contrat. Ce n’est pas une alliance à parité : il y a un grand décalage entre les obligations de Dieu et celles de l’homme. Il y a d’abord les engagements du Père : « Le Père éternel vous ayant fait l’honneur de vous recevoir en société avec lui par le Baptême, comme l’un de ses enfants et comme l’un des membres de son Fils, il s’est obligé à vous regarder du même œil, à vous aimer du même cœur et à vous traiter avec le même amour dont il regarde, aime et traite ce même Fils ; puisque vous n’êtes qu’un avec lui, comme le membre n’est qu’un avec son chef. Ce qui fait dire à Notre Seigneur parlant à son Père de ceux qu’il lui a donnés pour être ses membres : je leur ai fait connaître ton nom, afin que tu les aimes du même amour que tu m’aimes (Jn, 17, 26). Et un peu auparavant, il lui dit : tu les as aimés comme tu m’as aimé (Jn 17,23). Voulez-vous voir les effets prodigieux de cet amour du Père céleste vers vous ? Voyez les dons inénarrables qu’il vous a faits, lorsqu’il vous a reçu en son alliance par le sacrement du Baptême. Premièrement, il a mis sa grâce dans votre âme, dont le moindre degré vaut mieux que tous les empires de la terre. Ensuite, il y a mis la foi, qui est un don inconcevable ; l’espérance qui est un trésor sans prix ; la charité, qui est un abîme de biens inestimables ; toutes les autres vertus, tous les dons et tous les fruits du Saint-Esprit, et toutes les béatitudes évangéliques. Et ce qui est bien plus, c’est qu’il s’est donné lui-même à vous avec son Fils et son Saint Esprit, et est venu faire sa demeure dans votre cœur. Et, si vous ne l’en avez point chassé, il y a toujours demeuré, selon cette promesse de la Vérité éternelle : si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera : et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui (Jn 14, 23). Et depuis ce temps-là, ses yeux paternels ont toujours été fixés sur vous, selon ces paroles : je garderai les yeux fixés sur toi (Ps 31, 8) ; son esprit a été continuellement occupé à penser à vous ; son cœur a été perpétuellement appliqué à vous aimer ; sa puissance, sa sagesse, sa bonté ont été sans cesse employées à vous protéger, vous conduire et vous faire une infinité de biens, tant corporels que spirituels. Et, après tout cela il vous promet que, si vous êtes fidèle dans les conventions de votre contrat, vous serez son héritier dans le ciel, et cohéritier de son Fils ; et que vous posséderez éternellement des biens si grands et si admirables, qu’ils n’ont jamais été vus par aucun œil, ni entendus par aucune oreille, ni compris par aucun esprit. Voilà à quoi ce Père divin s’est obligé envers vous2. »

Puis les engagements du Fils : « Lorsqu’il vous a reçu en son alliance, comme l’un de ses membres, le Fils s’est obligé à vous regarder, aimer et traiter comme une partie de soi-même, comme os de ses os, chair de sa chair, esprit de son esprit, et comme celui qui n’est qu’un avec lui. Il s’est obligé à vous donner son Père éternel pour être votre Père : je monte vers mon Père et votre Père (Jn 20, 17). Il s’est obligé à vous donner son Esprit et son Cœur divin, pour être l’esprit de votre esprit, et le cœur de votre cœur : Je vous donnerai un cœur nouveau. Je mettrai mon Esprit en vous (Ez 36, 26-27). Parce que vous êtes enfants de Dieu, il a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils (Ga 4,6). Il s’est obligé à vous donner sa très sainte Mère, la bienheureuse Vierge Marie, pour être votre Mère : Voilà ta Mère (Jn, 19,27). Il s’est obligé à vous donner son Église, pour être encore votre Mère. Il s’est obligé à vous donner sa chair et son sang, dans la sainte Eucharistie, pour être la nourriture de votre âme : Je suis le pain de vie (Jn 6, 35). Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment breuvage (Jn 6,55). Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et me possède en soi-même (Jn 6, 56). Il s’est obligé à vous loger et à vous faire résider et reposer éternellement dans le même lieu où il est, c’est-à-dire, non seulement dans le ciel, mais dans le sein et dans le cœur de son Père, qui est sa propre demeure : Mon Père, je veux que ceux que tu m’as donnés soient là où je suis (Jn 17, 24). Il s’est obligé à vous donner le même empire et la même gloire que son Père lui a données : je vous prépare le royaume que mon Père m’a préparé (Lc 22,29). Il s’est obligé à vous faire asseoir avec lui sur son trône, comme il est assis sur le trône de son Père (Cf. Ap 3,21). Il s’est obligé à vous donner son propre Nom, et à vous orner des plus excellentes qualités que son Père lui a communiquées. Car il est Fils de Dieu : et ils seront appelés enfants de Dieu et le seront effectivement (1 Jn 3, 1). Ne vous étonnez pas de toutes ces choses qui sont si grandes et si admirables. Car d’une puissance et d’une bonté infinies il faut attendre des effets infiniment rares et précieux. Et puisqu’il a plu à votre Rédempteur de vous faire entrer dans une société si étroite avec lui, que lui et vous ne soyez qu’un, comme le chef et les membres ne sont qu’un, il s’ensuit nécessairement qu’il doit vous aimer comme soi-même, et que vous ne devez avoir qu’un même Père avec lui, une même Mère, un même Esprit, un même cœur, une même vie, une même demeure, un même royaume, une même gloire, un même trône et un même nom. Voilà, mon cher frère, les obligations que votre Chef a voulu s’imposer au regard de vous, lorsqu’il vous a incorporé avec lui comme l’un de ses membres par le sain Baptême. Sachez qu’il s’appelle le fidèle et le véritable3 (Ap 19, 11). »

Et puis viennent les engagements du chrétien : « Lorsque vous êtes entré en alliance avec Dieu par le contrat du baptême, vous vous êtes obligé à deux grandes choses :

1. Vous avez promis, par la bouche de votre parrain et de votre marraine, de renoncer à Satan… 2. Vous avez promis d’adhérer à Jésus-Christ par la foi, par l’expérience et par la charité ; c’est-à-dire de le suivre : … non pas seulement comme un serviteur suit son maître, mais comme un membre suit son chef… Ce qui fait dire ces belles paroles à saint Grégoire de Nysse (335-394) : « Être chrétien, c’est n’être qu’un avec Jésus-Christ, et par conséquent, c’est faire profession de vivre de la vie de Jésus-Christ ». Car, comme la vie du bras et une continuation et extension de la vie de la tête, ainsi la vie chrétienne est une continuation de la vie de Jésus sur la terre… Ce serait une chose très utile aux Chrétiens de renouveler les promesses de leur baptême non seulement une fois par an, mais même tous les jours : « Je renonce à toi Satan ; et j’adhère à vous, Ô Jésus, mon Seigneur, mon Rédempteur, mon Chef et ma très chère Vie4. »

Renoncer-adhérer : nous retrouvons là le grand mouvement pascal inspiré de Rm 6, 3-11, texte lu à la Vigile Pascale, mouvement qui dure toute la vie. Le terme « Renoncement » sonne mal aujourd’hui mais il a des équivalents : détachement, lâcher-prise, abandon, disponibilité, ouverture. Le seul but visé, c’est l’attachement à Jésus. Jésus est lui-même le modèle et la source de l’esprit de renoncement qui est l’attitude du Fils parfaitement obéissant à son Père (Ph 2, 6-11). Connaissant les engagements du Père et du Fils à notre égard, nous savons maintenant ce qu’est un chrétien : « Être chrétien, c’est être enfant de Dieu et avoir un même père avec Jésus-Christ. » Le baptisé est donc au sens propre enfant de Dieu le Père (et non de Dieu-Trinité), car il est entré en relation personnelle de fraternité avec le Fils ; il est assimilé au Fils ; il est chrétien. En distinguant l’action du Père, du Fils et de l’Esprit Saint dans l’acte baptismal, saint Jean Eudes anticipait le Concile Vatican II qui préfère contempler Dieu dans l’action propre à chaque Personne plutôt que dans l’unité des Personnes divines.

« Les trois personnes divines sont présentes au saint baptême d’une manière particulière : le Père y est engendrant son Fils en nous et nous engendrant en son Fils, c’est-à-dire donnant un nouvel être et une nouvelle vie à son Fils en nous, et nous donnant un nouvel être et une nouvelle vie en son Fils. Le Fils y est prenant naissance et vie dans nos âmes et nous communiquant sa filiation divine à raison de quoi nous sommes faits enfants de Dieu comme il est le Fils de Dieu ; le Saint Esprit y est, formant Jésus dans le sein de nos âmes comme il l’a formé dans le sein de la Vierge5. » (Royaume de Jésus, p. 517).

Ainsi, le baptême est le fruit d’un acte d’amour trinitaire : l’entrée dans l’Église correspond à l’entrée en communion avec le Père, avec son Fils, dans l’Esprit Saint. La relation de créateur à créature devient relation filiale. Et aujourd’hui, on ose affirmer, avec les Pères du Concile Vatican II, que « l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes, 22, 5).

Á noter, pour terminer, qu’à la Veillée pascale, aujourd’hui, on ne renouvelle pas des promesses faites en notre nom quand nous étions bébé. Il est dit : « Renouvelons la renonciation à Satan que l’on fait lors du baptême, renouvelons notre profession de foi au Dieu vivant et vrai et à son Fils, Jésus-Christ, dans la sainte Église Catholique. » Dans le rituel du baptême des petits enfants, révisé par Paul VI, parents et parrains, marraines, s’engagent à éduquer l’enfant dans la foi, professent leur foi personnelle, mais ne font plus aucune promesse à la place du bébé lui-même.

René-Jacques Traonouïl, cjm

 

1 O.C. 2, p 210-212

2 O.C. 2, p 212-214

3 O.C.2, p 214-218

4 O.C. 2, p 220-221 et 242-243.

5 O.C. 1, p 517.

 

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