Le Supérieur Général de la Congrégation de Jésus et Marie (dite des Eudistes), P. Jean-Michel Amouriaux, propose un travail de relecture des écrits de saint Jean Eudes sous forme d'une série de vidéos mensuelles pour accompagner cette année au niveau de la Congrégation et contribuer à diffuser le riche patrimoine spirituel dont vivent les prêtres eudistes et laïcs associés de la Congrégation dans le monde.
Saint Jean Eudes a été un de ceux qui a beaucoup écrit, réfléchi, proposé une dévotion sur saint Joseph, en particulier pour bien comprendre le sens de l'incarnation.
Saint Jean Eudes nous ouvre des horizons, en particulier sur deux points:
1) pour mieux comprendre le sens de l’incarnation, lorsque nous disons que Jésus est la Parole de Dieu faite chair, il est venu partager notre condition humaine,
2) pour percevoir plus profondément la relation qu’il a eue et que nous pouvons avoir avec la Vierge Marie.
Dans les deux cas, Joseph est un témoin privilégié, pour éclairer notre propre vie.
Au 17ème siècle, le siècle de Jean Eudes (1601-1680), saint Joseph est en quelque sorte redécouvert. Tous les prédicateurs et maitres spirituels proposent un même chemin de foi : mieux connaitre la vie de Jésus de Nazareth pour découvrir le visage de Dieu, or la porte pour aller vers Dieu est la vie historique de Jésus. Tout ce qui permet de mieux connaître cette vie de Jésus nous ouvre à la connaissance de Dieu. Ainsi, son enfance nous dévoile le visage de Dieu, et cela concerne Joseph dont il est question dans les Évangiles précisément autour de la naissance et de l’enfance du Christ. C’est 1621, par une décision du Pape Grégoire XV, que la fête de saint Joseph devient obligatoire. On ne compte plus dès lors les lieux dédiés à saint Joseph, ou à la Sainte Famille, comme la propre Congrégation des Eudistes le 22 janvier 1644, quelques mois après sa fondation. Les premiers biographes de saint Jean Eudes rapportent qu’il « était fort affectionné » à saint Joseph, à la fois en raison de tout ce qu’il percevait de Joseph le Juste, dans ses qualités et attitudes, et parce qu’il avait expérimenté que l’intercession du gardien de la Sainte Famille était réelle et puissante. Le jésuite Jean-Joseph Surin, une grande figure de la même époque, écrivit dans une correspondance que « saint Joseph était devenu le patron de toutes les grandes âmes de ce siècle. » Jean Eudes a particulièrement trouvé en Jean Eudes un modèle de relation avec la Vierge Marie, nous y reviendrons. Arrêtons-nous sur un point : pourquoi s’adresser aux Saints ? Comme on le dit, mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses Saints... Ce n’est pas ce que nous dit Jean Eudes ! Pour lui, comme une évidence, l’Église est un corps composé d’un nombre incalculable de membres, les disciples. Tous sont reliés à Jésus et entre eux, et le même Esprit anime l’ensemble. Parmi ces membres, il y a nous vivant sur la terre, et il y a tous ceux qui nous ont précédés, en particulier les Saints. Et nous pouvons entrer en relation avec eux, comme Jean Eudes l’écrit dans son premier grand livre, La Vie et le Royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes : nous devons adorer Jésus en eux, il est tout en eux, et nous les remercions pour tout l’honneur et l’amour qu’ils ont donné à Jésus. Et nous leur demandons de nous faire participant de ce même amour, de tout ce qui a animé leur vie. C’est la vision sans laquelle on en reste à une dévotion superficielle. En raison de l’importance de la vie de Jésus, Jean Eudes insiste pour que les disciples de Jésus aient une relation vivante avec – je cite – « les Saints et les Saintes qui ont conversé avec Notre Seigneur sur la terre » (OC I 345). Autrement dit ceux qui ont vu et entendu Jésus, comme dit Saint Jean, ceux qui ont touché le Verbe de Vie. Et parmi eux Marie et Joseph en premier lieu.
Écoutons et prions la salutation composée par Jean Eudes :
Nous te saluons Joseph, image de Dieu le Père,
Nous te saluons Joseph, père de Dieu le Fils,
Nous te saluons Joseph, Sanctuaire du Saint Esprit,
Nous te saluons Joseph, aimé de la très Sainte Trinité,
Nous te saluons Joseph, très digne époux de la Vierge Mère,
Nous te saluons Joseph, père de tous les fidèles,
Nous te saluons, Joseph, gardien des vierges consacrées,
Nous te saluons Joseph, fidèle à l’observance du silence sacré,
Nous te saluons Joseph, ami de la sainte pauvreté,
Nous te saluons Joseph, exemple de douceur et de patience,
Nous te saluons Joseph, miroir d’humilité et d’obéissance :
Tu es béni entre tous les hommes ;
Et bénis soient tes yeux pour ce qu’ils ont vu ;
Bénies soient tes oreilles pour ce qu’elles ont entendu ;
Bénies soient tes mains qui touchèrent le Verbe incarné ;
Bénis soient tes bras qui portèrent Celui qui porte toutes choses ;
Bénie soit la poitrine, sur laquelle le Fils de Dieu a pris un doux repos ;
Béni soit ton cœur embrasé d’un ardent amour pour Lui ;
Béni soit le Père Éternel qui t’ a choisi Béni soit le Fils qui t’a aimé ;
Béni soit l’Esprit Saint qui t’ a sanctifié ;
Bénie soit Marie, ton épouse, qui t’a aimé comme un époux et comme un frère ;
Béni soit l’Ange qui t’a protégé ;
Bénis soient à jamais tous ceux qui te bénissent et qui t’aiment.
Arrêtons-nous aujourd’hui sur les vertus de saint Joseph particulièrement retenues par saint Jean Eudes : « Nous te saluons Joseph, exemple de douceur et de patience, Nous te saluons Joseph, miroir d’humilité et d’obéissance. » La vertu est une disposition intérieure, bien établie, par laquelle une personne cherche à faire ce qui est juste et bon ; c’est à la fois une disposition humaine acquise et un don spirituel qui vient d’en-haut, les deux se conjuguent pour accomplir ce que la conscience a perçu de la loi de Dieu. Jean Eudes parle beaucoup des vertus car elles sont la manifestation concrète de la présence du Christ dans le cœur du disciple : si quelqu’un a en lui l’Esprit de Dieu, alors il vit selon cet Esprit, et les vertus peuvent fleurir sur ce terrain à la fois labouré et ensemencé, autrement dit nous avons notre part et Dieu la sienne ! Comme le dit saint Paul aux Galates : « puisque l’esprit est votre vie, qu’il vous fasse aussi agir ! » (Gal 5,25) Il est vrai que ce mot « vertu » est perçu comme usé ou d’un autre temps, et pourtant je ne doute pas que beaucoup cherchent à grandir personnellement dans l’accomplissement de ce qui est juste, bon et vrai. Saint Jean Eudes nous invite à regarder saint Joseph dans les vertus qu’il a vécu : douceur et patience, humilité et obéissance. Précisément il parle du miroir d’humilité, voir et comprendre ce qu’est l’humilité. C’est une attitude mise en valeur par saint Jean Eudes. Il a écrit un opuscule entier sur le sujet « Méditations sur l’humilité », qu’il considère comme la mère de toutes les vertus, autrement dit celle qui est nécessaire pour vivre toutes les autres. Il dit par ailleurs que c’est la vertu commune à tous les saints ; il n’y a pas de saints pleins d’eux-mêmes, tous ont en commun cette attitude de se reconnaître à sa juste place. Car au fond c’est cela l’humilité, non pas se mépriser mais se considérer soi-même telle que l’on est. Il est notable que la Vierge Marie se définit comme l’humble servante du Seigneur, tout comme Jésus se dit lui-même doux et humble de cœur. C’est le trait commun de la famille : l’humilité. Etre humble c’est reconnaître que j’ai reçu ma vie, mon souffle, mon nom, mon patrimoine génétique, ma langue… je suis un être qui se reçoit, avec les mains ouvertes qui reçoivent. Je reçois mon être des autres et de Dieu. C’est une attitude foncière d’humilité. Que n’ai-je que je n’ai reçu ? dit saint Paul. Jésus sait qu’il reçoit tout de son Père, Marie sait qu’elle est comblée de grâce par Dieu, Joseph est lui aussi celui qui reçoit son être de la part de son Créateur et son Seigneur. Etre humble c’est aussi reconnaître que je ne fais pas ce qui est juste et bon par mes seules forces mais que la grâce de Dieu accomplit en moi la vertu. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus l’a souvent répété, elle est citée par le Pape François dans Gaudete et exultate (19 mars 2018, n°54) : Les saints évitent de mettre leur confiance dans leurs propres actions : « Au soir de cette vie, je paraitrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux » L’humilité est de reconnaître que Dieu est à l’œuvre en moi, et toute élévation vers lui est déjà le signe de son action en moi, tout désir de service est le fruit de sa bienveillance, tout réussite est vécue avec lui. La vérité est alors la parole forte du Fils de Dieu : « en dehors de moi vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15,5). Nos êtres dans leur faiblesse ne peuvent porter aucun bon fruit sans être attachés au Christ, comme les sarments ne peuvent donner de raisin sans être attaché à la vigne. Et en conséquence l’humilité permet d’accomplir de grandes choses, comme Joseph qui a, selon les paroles de Jean Eudes, été l’ « auxiliaire fidèle du dessein de Dieu » ou dont les « bras (qui) portèrent Celui qui porte le monde ». Ceux qui ne connaissent pas le Christ peuvent accomplir de grandes choses justes et bonnes, mais notre regard de foi verra l’œuvre de Dieu avec et dans cette personne. Toute croissance de bonté et de vérité est l’œuvre de Dieu. L’humilité consiste à le reconnaître et à s’en réjouir. Oui d’avoir la joie de voir Dieu agir dans tous les cœurs humains pour faire grandir le bien. C’est comme cela que vient son Royaume. L’humilité est la porte étroite par laquelle il faut passer en se débarrassant de ce qui encombre nos cœurs. Nous sommes délivrés de la préoccupation tellement fatigante et vaine de la recherche de la grandeur et de la reconnaissance. L’humilité libère de la préoccupation de l’image de soi, pour se voir dans le regard aimant de Dieu, toujours aimant et bienveillant de notre Dieu.